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jours aujourd’hui — entrant dans mon petit salon. C’était une après-midi de soleil, mais comme il commençait à faire froid, elle était vêtue d’un grand manteau de loutre. Elle s’est assise auprès du feu et elle a tendu ses fines semelles à la flamme. Nous avons causé de choses et d’autres, puis tout à coup elle m’a dit en riant :

— Tu sais, ton monsieur Delbray, eh bien, il s’est joliment apprivoisé !

Je fis un involontaire mouvement de surprise. Elle continua :

— Mais, oui, ma chère, je l’ai rencontré au Bois, ce matin. Nous nous sommes promenés ensemble et il a été fort gentil avec moi, si gentil que nous avons rendez-vous pour demain cinq heures.

Elle baissa ses beaux yeux et soupira :

— Que veux-tu, il me plaît, décidément, ce garçon, et puis, je ne suis pas rancunière…

Lorsque Madeleine a été partie, je suis restée longtemps à regarder le feu.

Les bûches brûlantes mêlaient leurs flammes serpentines qui s’enlaçaient, s’étreignaient, se séparaient, reculaient pour se reprendre. Alors, j’ai songé à l’amphisbène qui était brodé sur le pavillon du yacht, j’ai songé à Julien, j’ai songé à moi-même et longtemps, la tête entre mes mains, j’ai pleuré.

Le lendemain, à quatre heures, j’ai fait arrêter mon fiacre, devant l’Église Saint-Philippe du Roule. J’ai gagné la rue de la Baume. J’ai passé devant le concierge, sans qu’il m’interrogeât. J’avais une voi-