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l’enfant à la lutte. Peu à peu je m’énervais à fuir ridiculement l’approche de cet ardent petit visage cynique et fardé et l’étreinte de ce vif corps souple dont émanait une chaude odeur de chair, d’épices, d’encens et de roses. À chaque effort pour m’en défaire, je le respirais tout entier. Un mauvais vertige me saisissait, et je ne sais trop comment tout cela eût fini si Hassan n’eût jugé bon d’intervenir. Un dialogue guttural s’établit entre lui et la Kabyle.

Cependant, je m’étais levé du divan et je prenais congé d’Yves de Kérambel. Hassan allait descendre avec moi et me remettre dans le bon chemin. Yves m’a souhaité bon voyage et, en me serrant la main, il m’a dit, en me montrant la Kabyle qui, pelotonnée boudeusement au milieu des coussins, me faisait des grimaces de mépris dans un petit miroir de poche : « Elle est gentille, hein ! cette petite mouquaire ! Mais tu as eu bien tort de te gêner, si ça t’avait fait plaisir, mon vieux… Tu sais, je ne suis pas jaloux. » En quittant Hassan, je l’ai chargé de remettre quelques pièces d’or à la Kabyle Aïssa.

Et je repense à ses bras bruns, à son corps souple, à son visage cynique et fardé, et j’y repense peut-être avec regret. Ah ! que ne suis-je comme Yves de Kérambel ! Laure, l’amour est cruel et décevant et pourtant je ne puis me repentir de vous avoir aimée, de vous avoir aimée comme je vous aimais, d’avoir voulu ne vous devoir qu’à vous-même, de vous avoir préférée aux faciles baisers de Madeleine de Jersainville, de n’avoir pu chercher l’oubli, même passager, de ma tristesse,