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Et puis Yves de Kérambel m’avait pris par le bras et m’entraînait. Il parlait haut et fort et gesticulait. Je n’écoutais guère ce qu’il disait, mais je le suivais docilement. Nous avions traversé la place du Gouvernement, longé la mosquée de la Pêcherie et nous nous sommes engagés dans un lacis de ruelles étroites. Ce quartier du vieil Alger était presque désert à cette heure. Parfois, à travers un rideau de toile grossière, on apercevait les lumières d’un cabaret, de quelque bouge à matelots. La proximité du port imprégnait l’air de senteurs marines. Yves se mit à chanter le refrain d’une chanson bretonne. Je l’avais entendue jadis, répétée par les pêcheurs du Croisic et du Pouliguen… Je l’avais chantée moi-même, lorsque je courais sur les dunes de la côte ou que je marchais bien en équilibre dans les petits sentiers qui séparent les carrés d’eau rose ou grise des marais salants ; je l’avais fredonnée dans le vieux jardin abandonné de notre propriété de la Lambarde, dans son bois de chênes verts ; j’en avais fait retentir le vaste escalier, les longs couloirs et les chambres solitaires de l’antique maison aux volets clos. Un soir, je l’avais dite à Mme  de Lérins, dans le canot qui, du quai de Naples, nous ramenait vers l’Amphisbène. Kardorel, le matelot, qui est natif de Piriac, avait souri en me l’entendant murmurer. Laure en avait aimé la gaîté mélancolique. Ah ! comme tout cela était loin, comme tout était loin, ce soir.

Hassan s’était arrêté devant une porte et heurtait le vantail à grands coups de talon. C’était une