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indistincte, profonde, une peine dont il me semblait avoir oublié la cause. J’aurais eu besoin d’être plaint, consolé. Une figure m’est apparue dans ma détresse, le doux et gentil visage de Germaine Tullier. J’ai revu la soirée des danses espagnoles ; j’ai revu Madeleine de Jersainville applaudissant les sombres ballerines.

J’ai pensé à vous, ma mère. C’est vers vous que j’irai me réfugier, quand l’Amphisbène m’aura ramené en France. Mais quelle peine je vous causerai ! Je sentirai votre doux regard interroger avec anxiété ma tristesse taciturne et je ne vous dirai rien de mes tourments muets. À quoi bon troubler cette paix stoïque ? Vous qui vous êtes sacrifiée à ma liberté, vous qui avez à demi renoncé à moi pour que j’appartinsse mieux à la vie et à l’amour, à quoi bon que vous sachiez que votre sacrifice, que votre renoncement ont été inutiles ? Pourquoi vous avouer que j’ai manqué la grande aventure de ma destinée ? Et pourtant, j’ai bien cru, un moment, qu’elle allait s’accomplir, ce soir où, dans ma chambre de votre vieille maison de Clessy, j’ai senti que j’aimais Laure de Lérins.


29 juillet. En mer. — Nous avons passé une journée à Oran. À présent, l’Amphisbène fait route vers Malaga. Dans une semaine ce sera fini. D’Oran, j’ai écrit à ma mère pour lui annoncer ma visite à Clessy. J’ai été sur le point d’écrire