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n’aiment pas les indécis, les timides. Elle te le montre, tant pis pour toi. Mais il fallait, le troisième soir, aller la retrouver dans sa cabine. Elle aurait geint, elle se serait défendue. Elle aurait pleuré ou elle aurait ri, mais elle aurait été à toi, imbécile ! Au lieu de cela tu l’accables de serments de collégien ! Ah, mon vieux Julien, quelle gaffe ! quelle gaffe ! Et il n’y a pas à y revenir, tu sais. L’occasion est manquée, la partie est perdue. Faites vos prix, Messieurs, la noire passe.

Quelque chose me disait qu’Antoine avait peut-être raison, mais son langage m’offensait profondément. Je m’élançai vers lui :

— Tais-toi, mais tais-toi donc.

Il haussa les épaules et reprit :

— Tu as beau te rebiffer, c’est ainsi et, au fond, tu ne pourrais pas me dire le contraire. Je sais bien que tu as la ressource de me traiter de cynique. Cynique, peut-être et, ma foi, je ne m’en défends pas. Je m’en vante, au contraire. Je préfère être un cynique et avoir la femme qui me plaît que d’être un délicat et rater une femme que j’aime. Ah ! si j’avais été à ta place, cela ne se serait pas passé ainsi. Il aurait bien fallu, bon gré mal gré…

Une image cruelle traversa ma pensée. Je vis Laure et Antoine enlacés. Je cachai ma figure entre les mains. Antoine me frappa sur l’épaule. Je levai mes yeux. Antoine me regardait tristement :

— Que veux-tu, mon pauvre vieux, c’est comme ça, mais, encore une fois, je te donne ma parole d’honneur, je ne suis pour rien dans ce qui arrive.