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Du doigt Gernon désignait, sur la rade, une place d’eau, vide sous le soleil :

— Elle a prétendu avoir reçu une dépêche qui la rappelait. Vous savez, la vieille tante, la religieuse, dont elle racontait des histoires si comiques. Eh bien ! il paraît que la bonne femme est très malade. Le fait est que Mme  de Lérins a envoyé retenir une cabine sur le paquebot et qu’elle nous a bel et bien faussé compagnie.

Gernon ajouta sournoisement :

— C’est dommage, une si gentille petite dame et dont nous étions tous un peu amoureux, aussi bien vous, Delbray, que ce brave Subagny, que moi-même et qu’Antoine Hurtin. Il est désolé, M. Hurtin…

Au nom d’Antoine, et au clignement d’œil de Gernon, une lumière soudaine s’était faite dans mon esprit. Antoine ! quelque chose me disait subitement qu’il n’était pas étranger à la brusque décision de Laure, que c’était à cause de lui que Mme  de Lérins était partie. Tout à coup certaines attitudes d’Antoine m’apparaissaient sous un jour nouveau. Ah ! le misérable ! Avais-je été assez stupide de me laisser abuser par ses protestations et par ses simagrées ! Déjà, j’avais eu de vagues soupçons de ses manigances, mais maintenant la vérité m’apparaissait. Ce n’était pas pour moi qu’il avait fait inviter Laure sur le yacht : c’était pour lui. Et j’avais été une seconde fois dupe de sa perfidie ! Après la petite Sirville, Mme  de Lérins ! Oui, avec moi, il avait joué au misogyne et au désabusé. Oui,