Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/337

Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Et que m’importaient l’Isly et ce remorqueur et tous les autres navires ! Rien n’existait pour moi que l’Amphisbène, que j’apercevais à son ancrage. Il m’apparaissait comme quelque chose de mystérieux et d’admirable. De la barque où j’avais pris place, il me semblait démesuré et lointain. Les deux rameurs qui me conduisaient avaient beau s’évertuer, j’avais l’impression que nous n’approchions pas et que nous n’arriverions jamais. Une fois de plus, je tirai ma montre. Il était deux heures de l’après-midi. Enfin, la barque accosta à l’escalier. Karderel, le matelot, agrippa le bordage avec sa gaffe et m’aida à débarquer.

Sous la tente d’arrivée, il n’y avait personne, ni Mme  Bruvannes, ni les Subagny, ni Gernon, ni Antoine. La chaise longue où s’étendait d’ordinaire Mme de Lérins était vide. Sans doute tout le monde était en promenade. Je me dirigeai vers l’escalier des cabines et, en chemin, je croisai le second, M. Bertin. Il s’enquit si j’avais fait bon voyage. J’allais lui demander où était Mme  Bruvannes, lorsque j’aperçus Gernon, qui venait vers nous. M. Bertin s’éloigna. Comme Gernon s’approchait, j’eus nettement l’impression qu’il était « arrivé quelque chose ». La petite figure ratatinée de Gernon avait une expression goguenarde et mystérieuse. Il m’avait tendu ses doigts secs et durs et me considérait d’un air si narquois que je lui dis avec embarras :

— Bonjour, cher monsieur Gernon. Eh bien ! rien de nouveau ici ?…