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cruelle que j’ai été comme fou… Laure, ah, Laure, pourquoi m’avez-vous laissé espérer… ? Mais maintenant, je veux raisonner mon chagrin. C’est pourquoi, sur cette page blanche du gros cahier de Neroli, les yeux pleins de larmes, la gorge serrée, le cœur meurtri, la main tremblante, j’écris.

J’ai retrouvé Yves de Kérambel, à la gare, à l’heure dite. Nous sommes montés dans un wagon où nous étions seuls. Le train s’est mis en marche. Yves me parlait de Ben-Tahel et d’agrandissements qu’il se propose de faire à la maison d’habitation. Je ne l’écoutais guère. Ma pensée était ailleurs. Une seule image occupait mes yeux. D’ailleurs, de tout ce voyage, je ne me rappelle rien. Je ne sais plus comment s’est passée la journée. De temps en temps, je tirais ma montre, et je regardais l’heure. Il me semblait que les aiguilles n’avançaient pas. Enfin, le soir vint, et la nuit ; je dormis profondément. Le matin, je fus debout dès l’aube. Ma valise fermée, j’ai attendu avec impatience le moment du départ.

Pendant la route, j’ai fumé d’innombrables cigarettes, tandis que Yves me vantait les charmes des mouquaires algériennes, et les agréments de sa petite maîtresse kabyle.

De retour à Alger, j’ai remis Yves à son hôtel, et je me suis fait conduire au port. Pendant que j’attendais une barque pour me mener à bord de l’Amphisbène, je regardais la rade sillonnée d’embarcations. Un gros remorqueur vomissait au ciel une épaisse fumée, par sa cheminée trapue. Je remarquai que le paquebot l’Isly n’était plus là.