Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/325

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Même date. — Pourquoi lui redirais-je encore mon amour ? Elle le sait. Elle le sent autour d’elle inquiet, attentif. Elle sait que la moindre de ses paroles a mille échos dans mon cœur. Qu’ajouterais-je donc à mes aveux ? Tout de moi n’est-il pas un aveu continuel, une muette et vivante supplication ? Parfois je cherche à définir le singulier pouvoir qu’elle a sur moi. Comment ce grand, ce profond amour a-t-il pris naissance ? Aucun événement romanesque ne l’a favorisé, aucune de ces rencontres qui frappent l’imagination. Pourquoi, dès que je l’ai vue, ai-je senti qu’elle était celle que je devais aimer, pour qui ma vie était faite ? Cette certitude, rien ne l’a préparée.

J’ai cherché plus d’une fois, cependant, à raisonner mon amour. Ma passion a tâché de se faire pointilleuse et malveillante. J’ai essayé de dépouiller Laure du prestige qui la revêt à mes yeux. Je lui ai prêté des calculs et des intentions. J’ai mêlé à mon amour de la jalousie. J’ai tenté de penser d’elle des choses défavorables. J’ai chicané sa grâce et sa beauté. J’ai voulu lui trouver des défauts. Tout à coup, il suffit d’un mot, d’un geste, d’un regard pour que tout cela s’évanouisse, disparaisse. Il se fait en moi comme un rayonnement, comme une lumière au centre de laquelle elle se dresse, victorieuse.