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vénérable, où l’on entend pour seul bruit le claquement de nos babouches qui clapotent à nos pieds comme si nous marchions dans de l’eau. À chaque pas l’on s’attend à ce que rejaillisse le pavage miroitant…

À déjeuner, Gernon s’est montré extrêmement fier d’avoir pu passer entre les colonnes de l’épreuve et il adressait des clins d’yeux à Mme Bruvannes, qui feignait de ne pas comprendre. Quant à moi, je n’ai pas essayé de savoir si j’entrerais jamais au paradis. Ô cœur troublé, tu redoutes les présages !

Au coucher du soleil, nous sommes retournés à la mosquée et nous sommes montés au minaret pour admirer la vue de la ville. À nos pieds, Kairouan s’étendait dans le cercle guerrier de ses murailles. Elle étalait le blanc dallage de ses toits à terrasses, traversé par les rainures des rues et boursouflé de dômes courbes. En dehors des murs, jusqu’à l’horizon, ondulait une terre cendreuse et dépouillée. Çà et là, quelques groupes de figuiers épineux. Là-bas, un campement de Bédouins dressait ses tentes noires. Il se dégageait de ce spectacle une indéfinissable impression de solitude et de barbarie. Aussi quel réconfort que le sourire d’un visage aimé, que le son d’une voix amie ! Tandis que nos compagnons redescendaient l’escalier du minaret, nous sommes restés, Laure et moi, un moment, seuls sur la plateforme. Alors, je me suis imaginé, eux partis, que nous ne les retrouverions jamais. Ils s’en allaient pour toujours, nous laissant dans cette ville étrangère. Tout à l’heure,