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écharpe, à l’élégance de certaines gandouras. Elle est la première à sourire de ces acquisitions. Ce soir, elle les a fait étaler toutes sur le pont. Elle semblait les considérer avec quelque mélancolie.

— Pourquoi êtes-vous triste, Laure ? lui dis-je.

Elle tourna la tête vers moi. Elle tenait entre ses mains une longue et souple écharpe de gaze, tramée de fils d’argent. Tout à l’heure, dans l’étroite boutique du souk où le marchand nous la montrait, elle nous avait paru subtile et singulière, cette gaze, qu’on eût dite tissée au clair de lune sur quelque terrasse de Bagdad. Ici, dans la lumière crue des lampes électriques, elle apparaissait infiniment moins séduisante. D’un geste découragé, Laure la laissa retomber. Elle s’aplatit, s’affaissa comme une chose morte.

Laure soupira :

— Ah, je ne suis pas triste, mon pauvre Delbray, mais tout de même… Enfin ! que voulez-vous ! Voici bien les tours que nous joue notre imagination. On croit avoir retrouvé le zaïmph de Salammbo, et l’on ne tient dans ses mains qu’un vulgaire tissu… Mais vous devez savoir cela mieux que personne, incorrigible rêveur !

Elle me considérait d’un air affectueux, tendre et mélancolique, puis elle a pris sur la table, posée auprès de ses gants, une mince et fine fiole remplie d’essence de roses et l’a respirée longuement en silence. Le parfum en vint jusqu’à moi. Au loin, le lac de Tunis miroitait sous le ciel étoilé. Il s’exhalait de ses eaux lourdes une senteur bitumeuse qui