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m’importe ; ici ou là, je souffre de la même inquiétude et de la même mélancolie. Ma promenade d’hier, à Versailles, en fut la preuve, et je n’aurais qu’à en noter d’amères rêveries. Quand on est ainsi, à quoi bon écrire ses pensées, c’est en redoubler l’amertume. Peut-être ai-je vécu trop seul depuis quelques mois ? Aussi, à la demande de Marcellin, l’idée m’est-elle venue d’aller retrouver, au restaurant Foyot, M. Feller, qui y déjeune à peu près tous les jours depuis quarante ans. La compagnie de ce pittoresque vieillard me distrait. J’aime sa conversation malicieuse, abondante en anecdotes caustiques, son sourire sceptique, son accent tudesque. Je l’ai vivement goûté, du jour où Jacques de Bergy m’a présenté à lui. Le père de Jacques de Bergy est un des plus vieux amis de Feller, et c’est Feller qui a dressé le catalogue de sa collection de médailles grecques.

Arrivé chez Foyot, j’ai cherché en vain Feller à sa place accoutumée. Elle était occupée par une jeune femme qui découpait prestement une tranche de jambon. Évidemment, Feller ne devait pas venir aujourd’hui. Le garçon me renseigna. M. Feller était à l’enterrement du baron Dumont, de l’Académie des Inscriptions. L’absence de M. Feller ne m’étonna plus. Je le connaissais assez pour savoir que rien au monde ne lui eût fait manquer cette cérémonie. Le baron Dumont était sa bête noire, et, tout en m’asseyant à une table, je me remémorais quelques-unes des historiettes plutôt piquantes que Feller débitait volontiers sur celui qu’il appe-