Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/308

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à la main-courante, et je grimpai l’escalier. Une des deux portes qui donnent sur le pont était solidement verrouillée. Je poussai l’autre de toute ma force. La pesée du vent m’offrait une réelle résistance. À peine dehors, un souffle violent, mêlé d’embruns, me heurta et m’aspergea le visage. Le yacht roulait sur une mer démontée qui s’agitait en sombres masses blanchies d’écumes. Le ciel était sans un nuage, d’un azur noir, lointainement étoilé. C’était vraiment un spectacle magnifique que cette fureur de la mer par une nuit pure. Peut-être Mme de Lérins s’était-elle réfugiée au salon ? Je me dirigeai de ce côté. Le salon était obscur et vide. Laure n’était pas non plus sur le pont arrière. On avait enlevé les toiles de la tente. Une grosse lanterne japonaise oubliée, et que le vent avait mise en lambeaux, se démenait comme un oiseau captif au bout d’un fil.

Sur la passerelle, le timonnier, les deux mains à la roue du gouvernail, surveillait la boussole dans l’habitacle. Auprès de lui, le commandant, M. Lamondon, examinait la mer d’un œil attentif. M. Lamondon n’avait vu personne. Je commençais à être inquiet, quand une pensée me traversa l’esprit. Mme de Lérins était probablement chez Mme Bruvannes. Cette supposition me soulagea. Comme j’étais étourdi de vent et de roulis, et comme j’allais entrer pour me reposer un peu dans la chambre des cartes, dont l’abri vitré se trouvait là, je fus accueilli par un gai éclat de rire. Mme de Lérins était étendue sur le divan et fumait paisiblement une cigarette :