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pont. Partout, toujours, une seule pensée m’occupe.

Ah ! cette pensée, comme elle me tourmente en sa parfaite simplicité ! Elle se résume en quelques mots : me faire aimer de Laure. Ces mots prononcés me mettent en présence du problème le plus difficile, le plus inextricable. Me faire aimer ! Mais quels moyens employer pour y réussir ? Alors, ma pensée vagabonde, s’agite, se disperse en mille solutions, se perd en hypothèses et finit toujours par revenir sur elle-même. Se faire aimer ! Ah ! tous ceux qui ont aimé me comprendront, partageront mes angoisses, angoisses douloureuses et délicieuses à la fois. Que de projets insensés j’ai faits ainsi, quels événements impossibles j’ai souhaités ! Jamais je n’ai plus vivement regretté d’être ce que je suis. Jamais je n’ai eu plus honte de moi-même. Jamais je n’ai appelé plus avidement à mon aide les Dieux et les Génies. Jamais je n’ai désiré plus avidement le coup de baguette transformateur. Oui, pourquoi suis-je moi ? Pourquoi ne suis-je pas un autre, plus beau, plus jeune, plus séduisant ?

L’autre jour, nous avions quitté la rade de Syracuse et l’Amphisbène avait mis le cap sur Porto-Empédocle, d’où nous devions aller à Girgenti. Comme nous sortions du détroit de Messine, une forte houle s’est déclarée qui nous a pris par le travers. Le yacht s’est mis à rouler sensiblement. Mme Bruvannes, les Subagny, Gernon, qui n’ont pas le pied très marin, se sont réfugiés dans leur cabine. J’apercevais Antoine monté sur la passerelle pour