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l’impression, à peine franchie la porte qui donne accès dans les jardins. Ils étaient, ce jour-là, étonnamment silencieux. Ils environnaient de leur vide le palais muet. L’hiver y avait je ne sais quoi de définitif. Les arbres semblaient nus à jamais, les bassins gelés pour toujours. Pas un promeneur, pas un gardien. J’étais le seul passant qui se fût hasardé jusque-là. Seul, un vieux chien rôdait mélancoliquement. À ma vue, il prit peur et s’enfuit. Trianon était vraiment à moi. Personne n’apparaissait au bout des allées droites. Déjà le soleil déclinait. Le froid devenait plus solide. L’air était comme gelé autour des choses.

Ce fut au moment où la vieille horloge du palais sonnait quatre heures que ma promenade me ramena sur la terrasse qui domine la croix du Grand Canal. Le soleil avait disparu. Le crépuscule venait rapidement. Sur la large étendue d’eau glacée, un dernier patineur s’obstinait. L’heure tardive semblait surexciter son ardeur. Il était, d’ailleurs, fort habile et il patinait avec une remarquable dextérité. À un moment, il se rapprocha assez pour que je reconnusse un des trois jeunes gens qui attendaient à la gare les jolies Parisiennes. Seul, maintenant, il se livrait avec frénésie à son agile passe-temps. Il s’enivrait solitairement de vitesse et de mouvement et profitait éperdument des dernières minutes de clarté. Et, toujours, il allait, vertigineux et sûr, presque indistinct dans le crépuscule, où il n’était plus qu’une ombre errante et passionnée.

Ah ! comme il était significatif et symbolique, cet