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pas et des ailes de l’amour ! Mais, hélas ! l’amour, viendra-t-il jamais vers moi ou n’en conserverai-je dans ma mémoire qu’une trace fuyante et qu’un insaisissable écho ?


20 juin. Palerme. — L’Amphisbène est ancré dans la rade de Palerme. Ce matin, nous avons assisté à un véritable coup de théâtre. À l’heure du déjeuner, nous étions réunis dans la salle à manger. Seul, Gernon se faisait attendre. Antoine commençait à s’impatienter, car il avait faim, ce qui, malgré ses doléances, est un excellent présage. Mme  Bruvannes allait envoyer le stewart s’enquérir de ce que devenait M. Gernon, quand nous le vîmes apparaître sous les aspects d’un personnage extraordinaire dont la venue fut accueillie par une exclamation unanime. Certes, c’était bien M. Gernon que nous avions devant les yeux, mais un M. Gernon subitement transformé, comme si une fée des contes l’eût malicieusement touché du bout de sa baguette. M. Gernon ne portait plus son antique vareuse bleu-marine, ni ses pantalons de toile blanche. Il était vêtu d’un superbe complet vert dont la veste était ornée de brandebourgs de couleur pistache, et d’une culotte qui bouffait sur des bas de cycliste également verts et mouchetés de jaune. Au lieu de son redoutable casque colonial, il arborait un feutre émeraude de la plus pure forme tyrolienne, relevé d’une coquette plume de paon. À son