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dalles disjointes, à la base des colonnes, poussent de grandes acanthes qui recourbent la volute architecturale de leurs feuilles.

Devant cette morne magnificence, devant cette haute vision du passé, Mme de Lérins et moi nous nous sommes regardés silencieusement, tandis qu’au ciel lourd tourbillonne un vol de corneilles criardes que notre venue a dérangées. En vérité, je suis moins ému que je n’eusse cru le devoir être. Depuis trop de jours, je vis en présence de trop de beauté pour que les plus beaux spectacles m’en puissent distraire. Que les paysages étendent leurs lignes, que les villes m’offrent leurs aspects, que le ciel et la mer combinent leurs plus éclatantes couleurs, que ces temples dressent devant moi leurs colonnes et leurs frontons, ma pensée ne leur appartiendra pas tout entière. J’échappe à leurs prestiges, je résiste à leur attrait. Ô Pestum, refleurirais-tu tes mille roses elles ne vaudraient pas le contour de telle bouche, de telle bouche silencieuse et énigmatique !

Ô Laure, il n’est pas de pays qui vaille la grâce de ton visage ; il n’est pas d’architecture à qui n’équivaille la structure de ton corps charmant ; il n’est pas de couleur plus harmonieuse que la couleur de tes yeux. En vain, on déploierait à mes regards toutes les terres et toutes les mers, mes regards s’en détourneraient dédaigneusement à l’appel de ta voix. Ô Laure de Lérins, le bruit de ton pas, le frôlement de ta robe dans les herbes sont pour moi comme le murmure et le frisson des