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ple, ébloui, troublé à la vue du lit où elle a dormi, du lit défait qui laisse traîner sur le tapis son drap débordé. Mme de Lérins s’est approchée de la glace. Elle ajuste sur ses cheveux une élégante casquette marine. Tout en y piquant une longue épingle, elle me dit : « C’est gentil à vous d’être venu m’avertir. J’étais déjà réveillée, mais je vous attendais… J’ai vu peu à peu blanchir le hublot. Cela ressemblait à une espèce de lune bizarre et triste. C’était vraiment l’œil de la mer qui me regardait. Jamais je n’aurais osé me lever devant ce regard. Alors, j’ai allumé. Sommes-nous encore loin de Naples ? Tenez, me voilà prête, je n’ai plus qu’à me chausser.» Elle s’était assise au bord de son lit. De son pied nu, elle a lancé au bout de la cabine sa petite mule verte qui semblait avoir marché sur la mer.

Nous sommes montés sur le pont. L’aurore, à présent, avait envahi tout le ciel et toute la mer. J’en suivais la lumière grandissante sur le visage de Mme  de Lérins. La cité napolitaine se présumait vaporeusement sur l’horizon. Bientôt Naples allait apparaître dans la radieuse clarté matinale. Mme  de Lérins s’était allongée dans un large fauteuil d’osier. Je ne voyais qu’elle. Elle avait écarté son manteau. Sous sa robe, je suivais la ligne souple de son corps. Parfois elle me faisait remarquer une nuance du ciel ou de la mer, les grandes barques que nous croisions et dont les antennes inclinaient mollement leurs voiles pourprées ou couleur d’ocre. De temps à autre, Mme  de Lérins balançait son pied chaussé d’un soulier de toile blanche, son pied que