Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/260

Cette page a été validée par deux contributeurs.

quatre punaises, à la lueur de la petite lampe électrique, il me montre la route que nous avons faite et le point où nous devons être en ce moment. Nous approchons. Bientôt M. Bertin me désigne du doigt, à notre gauche, un feu lointain, qui est celui de l’île d’Ischia. M. Bertin se frotte les mains. À ce moment, je m’aperçois que je distingue la terre. Peu à peu, autour de nous, une vague blancheur s’est répandue. Le yacht tout entier est comme sorti de l’ombre. La mer est d’une étrange pâleur laiteuse. L’air s’est éclairci, purifié des ténèbres. C’est la fine pointe de l’aube, sa fraîcheur, son frisson, sa tristesse.

Mme  de Lérins m’a fait promettre d’aller la réveiller, dès qu’il ferait jour. Elle veut voir l’arrivée à Naples. J’ai quitté la passerelle et je suis revenu sur le pont. La porte du salon est restée ouverte. Machinalement je suis entré et me suis assis sur le divan. Il n’a rien de maritime, ce salon ; on s’y croirait dans quelque appartement parisien. Il est confortable et élégant. Seulement les tables y sont machinées en vue du roulis et il sent une singulière odeur, celle qui, sur mer, imprègne tous les objets. Pour la première fois depuis mon départ, je songe à Paris, à mon logis de la rue de la Baume, à la vieille maison de Clessy-le-Grandval, à ma mère dont j’aurai une lettre sans doute à Naples, à ma mère qui me pardonnerait mon oubli si elle savait que je suis en présence de la grande aventure de ma vie, de l’enjeu décisif de ma destinée.

Il fait maintenant presque clair et il faut que