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rieux et complaisant. C’est lui qui nous a prêté ce navire, à Laure de Lérins et à moi. Nous seuls y sommes de véritables vivants, les autres ne sont qu’illusion. Le magicien ne les a créés que pour rendre plus complète notre solitude. Et où nous conduit-il, ce maître de nos destinées ? Que m’importe que les lieux vers lesquels nous allons s’appellent Naples, Palerme ou Syracuse ! Ce que je souhaite, c’est que certains yeux aimés sourient à la beauté de la mer, à la grâce des paysages, au pittoresque des villes. Et surtout que quelque soir une oreille bienveillante écoute mes paroles, qu’une main consentante se pose dans la mienne. Ah ! de ce bonheur, favorise-moi, magicien tout-puissant, et toi, navire au nom fabuleux, mythologique Amphisbène, obéis aux ordres de l’amour !


8 juin. En mer. — Je suis monté sur le pont… J’étais en proie à une singulière exaltation. Le grand air m’a calmé. Il ne fait pas encore jour, mais ce n’est déjà plus tout à fait la nuit. L’obscurité qui nous entoure est d’une trame plus légère, comme amincie, moins consistante, plus lâche. Sur la passerelle, je trouve le second, M. Bertin, qui est de quart. C’est un jeune homme à barbe blonde et de manières agréables. J’ai déjà causé plusieurs fois avec lui et je le préfère au commandant, M. Lamondon, assez peu communicatif. M. Bertin est accoudé sur la planchette où la carte est étalée, piquée par