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a voulu m’offrir une « compensation » en faisant inviter, par sa tante, Mme de Lérins sur l’Amphisbène. De la part de tout autre, il y aurait peut-être là quelque chose d’offensant et d’un peu indélicat, mais, avec Antoine, il ne faut pas y regarder de trop près.


En mer. Le même jour. — La petite Sirville et Juliette de la villa Valmarana, et toutes les autres que j’ai cru aimer, comme leurs vaines petites ombres se sont dissoutes à l’air du large ! Elles habitaient un coin de ma mémoire. Parfois elles en sortaient un instant et chacune m’apportait entre ses mains une cendre de souvenirs encore chaude. À présent, quand elles reviennent à ma pensée, je les reconnais à peine. Leurs lointains visages effacés ne parviennent plus à sourire ou à pleurer, tant ils sont vagues et indistincts. Leurs noms, lorsque je les prononce, n’éveillent plus d’échos dans mon cœur. Leurs formes ne sont plus qu’une vapeur incertaine. Elles sont mortes à jamais et, cependant, chacune d’elles représentait un moment de ma vie, de ma vraie vie, de celle où j’ai cru aimer. Et voici que, maintenant, elles ne sont plus rien. C’est sur un autre visage, sur une autre forme que je concentre désormais mon désir de vivre et d’aimer. Un autre être occupe toutes mes pensées.