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délicatesses, où les scrupules sont inutiles et dangereux.

Il se tut un instant, puis il continua :

— Eh ! je sens bien que tu n’es pas de mon avis et que tu m’as toujours considéré comme un assez grossier personnage. Il y a du vrai, d’ailleurs, dans ta façon de m’apprécier. Oui, je sais bien, je suis un b… et toi, tu es un amoureux. Allons, sois franc. Je suis sûr que tu n’as jamais pris une femme de force. Tu as toujours attendu qu’elles se donnent. Tu leur as laissé toujours le temps de se déterminer à être à toi.

« Ah ! je vois d’ici ta méthode, mon bon. Tu as de la persuasion et de la sentimentalité, et tu m’objecteras qu’au surplus ta méthode n’est pas mauvaise, qu’elle ne t’a pas mal réussi et que tu as eu, par ce procédé, autant de maîtresses qu’un autre. C’est peut-être vrai, mais c’est une question d’attrait personnel. Tes succès te viennent de ce que tu es un garçon distingué, sympathique, qui a de la conversation, qui sait être tendre, galant, gentil. Oui, tu as de l’esprit et du cœur ; alors tu gagnes à être connu. Le goût qu’une femme peut avoir pour toi, s’il est, au début, un peu indécis, peut se fortifier à mesure qu’elle se rendra mieux compte de tes qualités. Du reste, ça ne doit pas être désagréable du tout, ce genre de succès. Cela doit même être amusant de voir que peu à peu l’on gagne du terrain, que l’on est mieux apprécié. Sans compter que ça doit être excitant de voir ainsi mûrir le fruit, de le toucher, de le pal-