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puis, tout à coup, son rire s’interrompt, et elle demeure silencieuse, tandis que le petit cortège continue à tourner au bruit du tambour, autour des arbres à feuillage maigre, sur l’esplanade ensoleillée que domine la grosse citadelle jaune.

Ah ! Laure de Lérins, que ne vous ai-je connue à l’âge de ces fillettes et que n’ai-je eu alors l’âge de ces garçons ? Nous aurions vécu dans quelque vieille petite ville, désertée et provinciale. J’aurais partagé vos jeux. Nous aurions, nous aussi, peut-être joué aux fiancés avec des fleurs dans les mains et le temps aurait passé et ce souvenir serait devenu une réalité… Nos deux vies se seraient jointes naturellement, simplement, fortement, au lieu de se rencontrer, comme elles l’ont fait, à l’âge où la vie a rendu les cœurs incertains, où trop de choses se sont mêlées à l’existence, où l’amour est devenu un jeu difficile, plein de subtilités et de hasards, d’angoisses, de désirs et de craintes…

Nous avons regagné le yacht, à travers les étroites rues en pente de Bonifacio, le long des maisons assombries. Sur le port, le canot nous attendait, mais, avant de retourner à bord, Mme  de Lérins a voulu faire une promenade dans la baie. Nous avons passé sous l’étrave de l’Amphisbène et nous avons longé la haute muraille de rochers. L’eau était d’un calme profond, d’un bleu presque noir. Le canot y laissait un long sillage. Parfois, nous aurions presque pu toucher les parois rocheuses. Il s’en exhalait une singulière odeur d’herbes marines, un étrange parfum salin. Nous sommes