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conserve, qui éternise, qui recompose inlassablement ce que le temps a détruit.

Pourquoi ne lui ai-je pas encore avoué mon amour ? Quelle singulière hypocrisie que de lui laisser croire que je ne ressens pour elle que de l’amitié ? Hélas ! oserai-je jamais lui dire le timide secret de mon cœur ? Que ne l’a-t-elle deviné ? Mais pourquoi me suis-je tu obstinément ? Pourquoi ? Je le sais bien un peu. Une des raisons de mon silence n’est-elle pas ce goût d’indépendance et de liberté qu’elle manifestait avec tant de vivacité ? Il me semblait qu’elle eût pris une déclaration d’amour pour une sorte d’attentat à cette liberté, à cette indépendance. J’attendais, pour parler, qu’elle se montrât moins ombrageuse et moins peureusement farouche. Ah ! Laure, Laure de Lérins, puissé-je, par quelque nuit comme celle-ci, au rythme d’une mer calme et douce, à la faveur des molles ténèbres, sous un ciel de lointaines étoiles, prendre et retenir dans ma main votre petite main nerveuse et parfumée et me faire écouter de vous… !

Avant de descendre dans ma cabine, je suis monté un instant sur la passerelle. M. Bertin, le second du bord, y faisait son quart. Il m’a fourni quelques explications sur la route que nous suivons. De temps en temps, le timonnier donnait un tour de roue et se penchait pour examiner la boussole enfermée dans l’habitacle et éclairée par une lampe électrique.