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me dispenserait d’aller prendre des nouvelles de la migraine de Madeleine. J’étais d’ailleurs fort rassurée sur son compte.

Mme Bruvannes m’attendait, le lendemain, à déjeuner. Je devais rencontrer chez elle M. et Mme Subagny, nos futurs compagnons de voyage. Après le déjeuner, je fis quelques commissions et je rentrai chez moi. La femme de chambre qui m’ouvrit la porte m’avertit que Mme de Jersainville était au salon. Vraiment, Madeleine était trop bonne ! C’était une visite de digestion.

Eh bien ! mon cher Jérôme, je me trompais. Oui, j’ai à vous apprendre la chose la plus étrange, la plus singulière, la plus inattendue et, pour vous la dire, il me faudrait tous les adjectifs de Mme de Sévigné. Naturellement, je vous en fais grâce. Sachez donc simplement que Madeleine de Jersainville n’a pas été la maîtresse de M. Delbray, non, comme bien vous pensez, parce qu’elle s’y est refusée, mais parce que M. Delbray a décliné des avances pourtant fort flatteuses. En effet, lorsque je les eus laissés seuls, Madeleine ne tarda pas à aborder le sujet qui lui tenait au cœur. Elle m’a elle-même raconté la scène, et il n’y avait pas, pour M. Delbray, moyen de se méprendre sur les intentions, à son égard, de sa jolie visiteuse. Il s’y méprit si peu qu’ayant doucement dénoué les bras qu’elle lui avait passés autour du cou et s’étant assis auprès d’elle sur le divan, il lui tint à peu près ce langage : « Madame, vous êtes belle, vous êtes charmante et vous me semblez bonne, c’est pourquoi je vais vous parler avec une entière franchise. Vous excuserez le ridicule qu’il y a pour un homme d’agir comme je le fais. Certes, le don que vous me paraissez prête à m’accorder de vous-même est un présent inestimable et délicieux. En toute autre occasion, je vous en serais infiniment reconnaissant, mais, en ce moment, je