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fallut pas plus pour que la proposition de M. Delbray fût jugée excellente. Sur l’Amphisbène, nous visiterons la Corse, la Sicile, l’Archipel. Mais, avant de partir, il faut que je vous mette au courant de ma situation d’esprit.

Donc, après l’épreuve à laquelle je m’étais résolue et dont je vous ai décrit les circonstances et le résultat, j’étais sûre, ainsi que je vous le disais, de ne pas aimer M. Delbray. Oui, aimer, car, malgré que j’hésitasse à employer ce grand mot, certains indices me laissaient à penser que c’était peut-être bien de l’amour que j’eusse pour lui. Notez, en somme, que je n’eusse nullement considéré cela comme une catastrophe ou comme un malheur. Je ne me suis pas, après tout, interdit d’aimer et, bien que M. Delbray ne répondît pas exactement à mon idéal, il ne me paraissait en aucune façon un choix déshonorant. Il n’est plus très jeune, mais il est de figure agréable, d’aspect et de caractère sympathiques. Ce qui m’agaçait surtout dans mon cas, c’était qu’il pût arriver que j’eusse pris de l’amour pour lui sans que je fusse capable de lui en pouvoir inspirer. Certes, il s’était montré à mon égard charmant et empressé, mais je ne trouvais rien dans ses manières d’être qui dépassât les bornes d’une respectueuse politesse. Gracieux, attentif, complaisant, il n’avait marqué par aucun signe qu’il fût, tant soit peu, amoureux de moi. Or, ma vanité de femme ne pouvait admettre que je me fusse éprise de lui, à mon insu et de moi-même, sans qu’il eût rien fait pour justifier cette faveur. Cette idée, au fond, m’exaspérait. S’il avait fallu en passer par là, je m’y serais sans doute résignée, comme bien d’autres, mais je crois que je l’en eusse détesté. Or, je ne souhaitais nullement détester M. Delbray, pas plus que je ne désirais l’aimer. Néanmoins, à tout