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mage s’était dissoute, vaporisée. Le poison n’avait pas opéré. Mes veines étaient pures d’amour.

Je suis rentrée chez moi, à pied, d’excellente humeur, rassurée, tranquillisée, calmée. Je m’étais alarmée en vain. J’étais sûre maintenant de ne pas aimer M. Delbray, tout en ayant pour lui beaucoup d’amitié et une véritable affection. Tout n’est-il pas ainsi pour le mieux, aussi bien pour moi que pour M. Delbray ? Le voici également éclairé sur lui-même, au cas où il eût eu besoin de l’être. A-t-il eu, à mon égard, quelques velléités d’amour, elles n’ont certainement pas résisté aux avances de Madeleine.

Nous voici donc délivrés, l’un et l’autre, d’un doute qui eût pu compromettre nos bonnes relations et nous entraîner dans une fausse voie. Aussi je ne saurais trop me féliciter d’avoir agi comme je l’ai fait. Le seul que l’on puisse plaindre est le pauvre Jersainville, mais, vraiment, qu’il soit trompé une fois de plus ou de moins cela n’a aucune espèce d’importance. Qu’est-ce que cela peut bien lui faire ? N’a-t-il pas sa petite lampe à opium, son aiguille enchantée, sa noire boulette grésillante ? Néanmoins, il se peut très bien que je n’aille pas, l’automne prochain, aux Guérets. Il me semble que je n’aurais pas un très grand plaisir à revoir Madeleine. C’est bizarre, n’est-ce pas, mais, quand on est femme, on n’en est pas à une contradiction près.

Telle fut, mon cher Jérôme, ma journée d’épreuve. Je la finis avec vous, en vous écrivant et me disant bien affectueusement votre amie.

Laure de Lérins.