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aussi que je vous trouve charmante. Allons, ma chère petite, acceptez nos offres, vous ferez un voyage intéressant. »

Je remerciai de mon mieux Mme  Bruvannes et je lui demandai quelques jours de réflexion avant de lui donner une réponse définitive. Ce qui me demeurait le plus présent de ma conversation avec Mme  Bruvannes, c’était que M. Delbray parlait souvent de moi avec Antoine Hurtin, et en termes élogieux. Cette idée me causait un certain plaisir. Il m’était agréable de savoir que M. Delbray me jugeait favorablement. Cette sympathie avouée me procurait une certaine satisfaction. Et cependant, il était bien probable que M. Delbray ne songeait guère à moi en ce moment. Une image rapide me traversa l’esprit et me fit tressaillir. Je voyais M. Delbray aux bras de Madeleine de Jersainville. Ce n’était pas une pensée vague, c’était, je vous le répète, une image réelle, précise, vivante. Je voyais Madeleine étendue sur le divan, à demi dévêtue, la tête appuyée sur les coussins. M. Delbray était penché sur elle. Ils se donnaient des baisers !

C’était évidemment l’instant décisif de l’épreuve. La minute était grave. Cette image allait déterminer en moi la révélation exacte de mes sentiments. Pourrais-je, sans jalousie, sans amertume, sans haine supporter ce spectacle qui n’avait plus pour moi rien d’imaginaire ? Pour plus de sûreté, je précisai encore la vision. Le couple amoureux existait devant mes yeux avec une croissante intensité. Je ne perdais aucune expression de leurs deux visages. Froidement, j’attendais la secousse révélatrice. Mes lèvres tremblaient d’angoisse. Le monde entier pouvait être changé pour moi. Je fermai les yeux. Quand je les rouvris, toutes les choses qui m’entouraient étaient à leur place. Rien ne s’était transformé. Madeleine et son amant avaient disparu de ma pensée. L’i-