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Quand je sortis de chez Mme  Rosine, la grosse horloge de l’Institut marquait six heures un quart. Je continuais à être d’excellente humeur. Comme je traversais la chaussée, un bicycliste, en me frôlant, me salua au passage d’une de ces plaisanteries parisiennes un peu risquées dont nous ne voulons retenir que l’hommage indirect qu’elles contiennent à l’égard de nos charmes. Je lançai donc au galant bicycliste mon regard le plus indulgent et j’allai m’accouder au parapet du quai, dans l’espace laissé entre deux boîtes à bouquins. Sans doute, à présent, Madeleine s’apprêtait à quitter la rue de la Baume. Peut-être même en était-elle déjà partie, et M. Delbray, demeuré seul, songeait probablement à la curieuse aventure qui venait de lui arriver. Il avait dû avoir des maîtresses, mais il devait tout de même être un peu ahuri de la promptitude de son succès auprès de Madeleine de Jersainville. Sans doute, même, au lieu de lui en être reconnaissant, il en concevait pour elle quelque mépris. Le soir où il avait remarqué Mme  de Jersainville, aux danses espagnoles du docteur Tullier, il ne supposait guère que cette belle dame viendrait un jour s’étendre sans façon sur son divan. Vraiment, cela m’aurait amusée de savoir quelle impression ma facile amie avait laissée d’elle à M. Delbray. Je fus sur le point de sauter dans une voiture et de me faire conduire rue de la Baume.

J’avais quitté le parapet, et je marchais en flânant, quand je m’aperçus que je me trouvais juste en face de l’hôtel de Mme  Bruvannes. Elle est presque toujours chez elle après cinq heures et l’idée me vint d’entrer lui faire une petite visite. On m’introduisit dans le salon en rotonde où se tient ordinairement Mme Bruvannes. Elle s’y trouvait occupée à lire dans un vieux bouquin à tranches rouges. Sans doute quelqu’un des auteurs