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née magnifique, une journée de ces étés parisiens dont je vous vantais justement la douceur et l’éclat. La rue était tranquille et répandait une odeur de poussière mouillée. Un arroseur y faisait pleuvoir un long et souple jet d’eau irisée. Une douce fraîcheur s’exhalait du trottoir humide. J’avais envie de marcher, mais la voiture de Madeleine de Jersainville était là. J’y montai sagement et je donnai au chauffeur l’adresse de la rue Guénégaud. L’auto démarra ; je m’adossai aux coussins et me calai commodément. Tout d’abord, je constatai que la voiture était excellente, les ressorts doux, les pneus gonflés juste à point. L’intérieur de cette voiture était tout imprégné de ces parfums violents et musqués dont Madeleine aime à faire usage. Aux crochets d’argent, un petit sac était suspendu. Je l’ouvris ; il contenait quelques billets de banque, un carnet, un crayon, diverses babioles, une boîte à poudre, deux bâtons de rouge pour les lèvres. En face de moi la petite pendule encaissée dans le panneau marquait cinq heures trois minutes. À ce moment me revint à la mémoire un quatrain que j’avais lu, l’autre jour, dans un vieux petit almanach que m’avait donné M. Delbray. En voici la teneur :

Et ma pendule et ma Julie
Ont des destins bien différents :
L’une fait compter les instants
Qu’auprès de l’autre l’on oublie.

Ces mauvais vers, je les répétai plusieurs fois machinalement. Ce ne fut qu’en traversant la place de la Concorde que j’en fis l’application. À ce moment, depuis mon départ de la rue de la Baume, je repensais pour la première fois à la situation dans laquelle j’avais laissé Madeleine et M. Delbray, et je vous avoue qu’en cet instant cette situation me parut plutôt comi-