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crois bien qu’elle m’eût sauté au cou. Évidemment, je réalisais son vœu secret. Quant à M. Delbray, pendant notre petite conversation, il était demeuré parfaitement impénétrable. Je dis adieu à Madeleine. Elle s’excusa de ne pas m’accompagner, mais le grand soleil de la journée lui avait donné un peu de migraine. M. Delbray me reconduisit jusqu’à la porte. Nos dernières paroles furent au sujet de la console. Il télégraphierait à M. de Kérambel le prix que j’offrais du meuble.

Une fois dehors, et au dernier palier de l’escalier, je m’arrêtai et poussai un « ouf » de soulagement. J’allais donc enfin avoir le cœur net de mes sentiments pour M. Delbray. Je connaissais assez Madeleine pour ne guère conserver de doutes sur ce qui allait se passer, en mon absence, entre elle et M. Delbray. Mme de Jersainville avait conçu pour M. Delbray une de ces fantaisies subites et violentes qui sont sa spécialité.

J’avais plus d’une fois entendu raconter par Madeleine comment lui étaient arrivées des aventures du genre de celle que j’avais favorisée par mon départ. Ma gentille amie avait trop le goût de ces passades pour que je pusse douter de l’issue du colloque où je l’avais laissée avec M. Delbray. Maintenant, la question se posait de savoir comment je supporterais la situation que j’avais créée. Mes impressions allaient m’éclairer sur mes sentiments, et ces impressions, je me tenais prête à les analyser dans leurs moindres nuances, à les passer au crible le plus ténu, à les étudier parcelle par parcelle. Et vous savez, mon cher Jérôme, que je suis assez bonne « psychologue », assez attentive observatrice, surtout quand je suis le propre objet de mon observation. Voici donc exactement ce que j’ai noté.

Quand j’eus descendu l’escalier de M. Delbray, je m’arrêtai sur le trottoir. Il faisait vraiment une fin de jour-