Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.

une impression de repos que je ne trouve pas chez moi dans mon logis trop plein de mes pensées ordinaires. L’atelier de Jacques de Bergy est un lieu calme, retiré, où il me semble que je m’oublie un peu moi-même. Et puis, il a encore pour moi un autre attrait. N’est-ce pas là que sont nées, sous les doigts habiles du charmant modeleur qu’est Bergy, les innombrables petites figurines nues ou drapées, élégantes ou malicieuses, naïves ou mystérieuses, où il renouvelle l’art des anciens Coroplastes, ces statuettes exquises, ces délicats bas-reliefs d’un art si gracieux, si personnel ? Certes, beaucoup ont quitté l’atelier natal, mais il y en a toujours là quelques-unes qui attendent, sous le linge humide qui les recouvre, la dernière retouche qui leur donnera la perfection définitive et parachèvera la vie secrète qui les anime.

Eh bien, oui, aujourd’hui, j’aurais voulu soulever le voile de ces petites inconnues et, de l’une d’entre elles, faire la compagne de ma rêverie. Dévêtue, j’aurais admiré son corps fragile et souple. Puis, je l’aurais, à ma guise, habillée. J’aurais enroulé à ses hanches et à sa poitrine d’onduleuses étoffes, disposées en plis harmonieux. J’eusse, à son cou et à ses bras, passé des colliers et des bracelets et coiffé sa petite tête avec tous les artifices auxquels s’adapte une chevelure. Douce et savante, elle se fût prêtée à tous les jeux de ma fantaisie. J’aurais caressé ses épaules, touché son pied délicat, sa gorge ferme. J’aurais partagé son rire. Et puis elle m’eût confié ses pensées et raconté