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une des façons dont travaille M. de Bergy et que, dans les volutes de la fumée, il voit se dessiner les formes qu’il réalisera plus tard. Quoi qu’il en soit, M. de Bergy interrompit fort aimablement sa laborieuse fumerie pour nous faire les honneurs de ses figurines. J’allais donc et je venais à travers l’atelier, quand, me retournant pour complimenter M. de Bergy d’une des statuettes qui me plaisait particulièrement, je m’aperçus qu’il crayonnait quelque chose sur une page de son carnet. Sûrement, sous les plis de ma robe, l’œil exercé de M. de Bergy avait deviné l’attitude de mon corps et il en notait rapidement le dessin. À cette pensée, je rougis et je ressentis une impression de gêne subite. Quoi, à travers mes vêtements, je venais d’apparaître comme nue aux yeux de M. de Bergy !

Ma gêne s’était changée en une sorte de colère. M. de Bergy feignit de ne s’apercevoir de rien et remit tranquillement le carnet dans sa poche. J’étais irritée de l’indiscrétion artistique de M. de Bergy et je le lui marquai en abrégeant ma visite. Quelques minutes après, M. Delbray et moi, nous prîmes congé. Nous marchions côte à côte dans l’avenue. Je pensais au petit incident de tout à l’heure : « Tout de même, me disais-je, c’est un peu agaçant d’avoir posé malgré soi, pour ce monsieur de Bergy ; si, au moins, c’était pour M. Delbray ! » Je regardai M. Delbray. L’idée qu’il aurait pu me voir « sans voiles » ne m’était nullement désagréable. Ce fut une impression brève et indistincte, mais que signifiait-elle ? M. Delbray ne m’était donc pas indifférent ?

Tout en marchant, je le considérai avec une attention inusitée. Il me semblait presque ne l’avoir jamais vu, tant j’étais déjà habituée à lui. Soudain, il m’apparaissait avec une nouveauté singulière. Quoi, c’était