Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/209

Cette page a été validée par deux contributeurs.

côté, ni du sien. Il est bien probable, comme je vous le disais dans une de mes lettres, que, si je m’offrais à M. Delbray, il ne refuserait pas l’aubaine. Je n’ai, en effet, rien de particulièrement dégoûtant, mais je ne puis supposer que M. Delbray se préoccupe beaucoup de cette possibilité. Il n’a jamais cessé de se montrer avec moi respectueusement amical. Jamais il ne m’a « fait la cour ». Dans l’amitié qu’il me témoigne, je ne serais pas éloignée de croire qu’il entre une certaine reconnaissance de ce que je le distrais quelque peu de sa mélancolie ordinaire… Éprouve-t-il de moi un véritable désir, cela ne me paraît pas probable, bien qu’il y ait de ma part de la modestie à en convenir. Non ! M. Delbray n’est pour rien que d’involontaire dans l’inquiétude que je vous confie et qu’il me cause sans le savoir.

Il faut maintenant, mon cher Jérôme, que je vous dise en quelle occasion est née cette inquiétude au sujet des sentiments que m’inspire peut-être M. Delbray. M. Delbray, l’autre jour, me proposa de me mener visiter l’atelier d’un de ses amis, le sculpteur Jacques de Bergy. M. de Bergy a beaucoup de talent et l’idée de cette escapade m’amusait fort. Aussi l’acceptai-je avec plaisir. M. de Bergy habite aux Ternes un grand atelier ; lorsque j’y pénétrai, en compagnie de M. Delbray, je fus tout de suite ravie. Les figurines que modèle M. de Bergy sont vraiment délicieuses. Il est le roi d’un véritable peuple de poupées d’argile, mais de poupées animées de toutes les grâces de la vie. Toutes les attitudes, toutes les lignes du corps des femmes sont représentées par elles avec l’art le plus délicat et le plus vrai. M. de Bergy est un artiste exquis, en même temps qu’un gentleman d’excellentes manières. Quand nous entrâmes, il était étendu sur son divan et occupé à fumer un gros cigare. M. Delbray prétend que c’est là