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et je suis incapable de ces ingénieuses petites inventions de détails auxquelles vous excellez et qui procurent tant de commodités à la vie. Aussi, suis-je sûre que vous trouveriez mon logis quelque peu bohémien et rudimentaire. Tel qu’il est cependant, et si incomplet qu’en soit encore l’arrangement, je ne souffrirais pas volontiers vos critiques, car j’avoue qu’il me plaît extrêmement dans son désordre et son improvisation. Certes, l’aménagement pratique n’en est peut-être pas tout à fait au point, mais la décoration en est agréable et j’y ai réuni quelques charmantes vieilleries que je dois, pour la plupart, aux indications de M. Delbray. C’est lui qui m’a fait acheter les deux portes de bois sculpté qui sont celles de ma chambre, le délicieux petit lustre Louis XVI, du goût le plus pur, qui se balance si joliment au plafond de mon boudoir, l’étonnante commode en laque qui fait presque autant mon orgueil que l’élégante chaise longue de laquelle je vous écris.

Une chaise longue, c’est bien, depuis que je suis à Paris, la première fois que je m’étends sur un de ces meubles et que je m’accorde quelque paresse ! Depuis cinq mois, en effet, je mène une vie vraiment vagabonde. Aujourd’hui, pour la première fois, je me repose et je goûte le plaisir de rester chez moi. Il est vrai qu’il n’y a que quelques jours que je possède un chez moi. Jusqu’à présent, j’ai vraiment vécu dans la rue, dans ces chères rues de Paris, si diverses, si animées, si sympathiques, dans ces rues qui semblent être les rues de dix villes différentes. Mais, aujourd’hui, je me sens casanière. J’ai passé une robe de chambre ; j’ai fait placer ma chaise longue près de la fenêtre. Par la vitre j’aperçois un frais coin de ciel d’été et les grands arbres du quai Debilly. La Seine coule à quelques pas de moi. Des voitures roulent ; des passants passent. Je les regarde