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-être, amené M. Delbray à me rendre des soins dont je lui sais, d’ailleurs, beaucoup de gré. Notons-y donc, tout d’abord, le désir de faire plaisir à Mme Bruvannes ; ensuite, admettons que M. Delbray a pris goût peu à peu à la distraction que j’offrais à son oisiveté et qui ne contrariait nullement ses habitudes de flânerie ; puis, à mesure qu’il m’a mieux connue, convenons qu’il a conçu un certain goût pour ma personne, sans que ce goût dépassât une sympathie assez tendre. Dans tout cela, donc, l’amour proprement dit n’entre pour rien. Cependant, M. Delbray est assez joli garçon et, par conséquent, doit être quelque peu fat. Et il a dû penser : « Eh bien ! promenons gentiment cette petite dame. Cela fait plaisir à Mme Bruvannes et cela ne m’ennuie pas, car, en somme, elle me plaît assez. Si, par hasard, je lui plaisais aussi, cela pourrait devenir une aventure fort agréable. Que les choses, du reste, tournent autrement, je n’en aurai aucun dépit et aucun chagrin. J’en demeurerai là volontiers. Elle semble avoir des qualités d’amie, ce qui est assez rare. Enfin, elle aime ma conversation et ma compagnie, ce qui me flatte. » Et c’est ainsi, j’en jurerais, que M. Delbray est devenu mon accompagnateur assidu, et c’est pourquoi aussi j’ai tenu à vous le présenter un peu longuement.

Donc, mon cher Jérôme, si l’on vous rapporte jusque dans votre lointain San-Francisco que votre ex-femme fait l’amour avec un Français jeune encore, de taille moyenne et distinguée, et si l’on vous avertit qu’on la rencontre avec lui dans les endroits les plus divers de Paris, vous saurez à quoi vous en tenir exactement sur la vérité de ces racontars. J’avoue que si la duchesse de Pornic, Mme Grinderel ou Mme de Glockenstein m’apercevaient en compagnie de M. Delbray, elles seraient peut-être moins confiantes que