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mais qu’une fâcheuse indécision d’esprit empêche de se déterminer dans la vie pour un but précis. Cette indécision, sur l’origine de laquelle je ne suis pas fixée, l’a détourné de toute carrière et de tout métier. Julien Delbray est un oisif. L’imagination, qu’il a vive et qui lui fait envisager toutes les possibilités, le dégoûte, par avance, des réalisations en lui montrant successivement les inconvénients de chacune de celles qu’il pourrait tenter. De telle façon qu’à trente-quatre ans Julien Delbray se trouve en face de la vie dans une situation d’attente qui n’est pas sans lui causer quelque tristesse. Je vous le répète, Julien Delbray est un oisif, et un oisif imaginatif. C’est à cette oisiveté que j’ai dû en partie la complaisance qu’il m’a montrée. Je lui suis une occupation.

Néanmoins, vous m’objecterez que le fait de cette oisiveté n’explique pas complètement l’assiduité de M. Delbray auprès de moi. Un garçon de son âge peut tout de même trouver d’autres divertissements que de jouer au cicerone et au guide dans Paris. Et puis, il est inadmissible que M. Delbray n’ait pas une maîtresse.

Eh bien ! justement, je suis persuadée, mon cher Jérôme, que M. Delbray n’a pas de maîtresse, du moins en ce moment ; aussi ai-je pensé que ses actuelles vacances de cœur avaient quelque peu contribué à le rapprocher de moi. Certes, M. Delbray est trop intelligent pour ne pas s’être aperçu, dès le début de nos relations, que je ne suis nullement une personne en quête d’aventures sentimentales ou autres. Lui non plus, d’ailleurs, n’a pas du tout l’air d’un coureur de bonnes fortunes ; cependant, il est bien probable que, si cette bonne fortune se présentait, il ne la dédaignerait pas. Et c’est là, il me semble, le point qui va nous aider à reconstituer l’enchaînement de motifs qui ont, inconsciemment peut-