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bonhomme que vous ne connaissez pas, pour qui vous n’avez aucune admiration, aucune sympathie, et qui vous impose l’usage d’une sonorité désagréable, odieuse ou ridicule.

C’est un rien, me direz-vous. Oui, mais c’est un rien qui a tout de même son importance, et ce sont ces petites choses qui contribuent à l’agrément ou au désagrément de la vie. Elles ont leur part infime, mais réelle, dans notre bonheur. Donc, je n’aurais jamais voulu m’affubler d’une rue dont le nom m’aurait par trop déplu. Par contre, il doit être délicieux d’être en quelque sorte l’hôte d’un peintre ou d’un écrivain aimé. Aussi, si je me vois très bien rue Marivaux, rue Alfred-de-Vigny, rue Eugène-Delacroix ou rue Watteau, je ne puis pas m’imaginer rue Hippolyte-Flachat ou boulevard Raspail.

Le mieux n’est-il pas de se choisir une rue dont le nom qui la désignerait n’attirerait pas l’attention, n’évoquerait aucun souvenir précis et aurait pris l’air de ne plus appartenir à personne, avec quelque chose d’irréel et d’imaginaire ? Et ce fut en cette considération, et aussi pour quelques autres motifs, que je me suis décidée à louer rue Gaston-de-Saint-Paul.

Rue Gaston-de-Saint-Paul ! Ne trouvez-vous pas que c’est d’un vague tout à fait satisfaisant ? Gaston de Saint-Paul, on dirait une signature de valseur retrouvée sur un vieux carnet de bal. Gaston de Saint-Paul ! Gaston est gentiment familier, Saint-Paul est élégamment aristocratique. Maintenant, qu’était au juste ce Gaston de Saint-Paul ? Je vous le dirai une autre fois, quand je me serai renseignée à son sujet. Dieu veuille que je n’aie point sur ce chef de fâcheuse surprise, car je serais très capable d’en moins aimer mon joli appartement. Il est commode et bien distribué. La maison, confortable,