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l’heure inconnu, vous parut subitement indispensable et, du coup, vous étiez décidé à tout pour satisfaire votre désir.

Oui, mon cher Jérôme, vous si raisonnable, si sérieux, vous avez eu votre moment de folie amoureuse. Vous étiez devenu pareil à un de ces chercheurs d’or de Californie qui, aux temps héroïques de Bret-Harte, se disputaient, du pistolet et du couteau, la pépite merveilleuse, objet de leur convoitise. Vous étiez semblable à ces trappeurs qui enlèvent la fille du chef au galop de leur mustang. Heureusement que la petite personne en question n’exigeait pas de si grands efforts. Elle était disponible et ne demandait pas mieux que de vous suivre. D’ailleurs, elle comprenait fort bien ce que vous éprouviez pour elle. Cette furie toute californienne la flattait. Et puis, les nécessités de ma situation matérielle me disposaient à me faire agréer votre proposition. Cependant, cette dernière considération n’eût pas suffi à me décider. Vous me plaisiez, Jérôme, et je me laissai persuader !

Ce fut ainsi que vous emportâtes au bout du monde la petite pensionnaire de Sainte-Dorothée, au grand ébahissement des bonnes mères. Le plus curieux de notre aventure, c’est qu’après avoir satisfait votre désir de moi, vous continuâtes à m’aimer ou plutôt à aimer en moi le souvenir de la violente émotion sensuelle que je vous avais procurée. Vous fûtes heureux et, comme je ne semblais pas malheureuse, tout vous parut pour le mieux dans le meilleur des nouveaux mondes. Je vous devins une habitude agréable que vous trouviez chaque soir au logis, au retour de vos affaires. Sans vous inspirer le vif attrait de nos premiers mois de mariage, je continuais à vous être d’un divertissement appréciable, mais l’idée ne vous vint pas de vous occuper de