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plaisir, n’ont qu’un lointain rapport avec « l’attention » qu’elles exigent, même inconsciemment, de quiconque a part dans leur vie.

Oui, Jérôme, il ne suffit pas, avec une femme, avec sa femme, d’être « attentionné », il faut être « attentif ». Par là, j’entends qu’il faut s’astreindre, jour à jour, heure à heure, à la comprendre, chercher à se rendre compte de ses variations de caractère et de tempérament. Il faut l’observer minutieusement et lui donner l’impression qu’elle vit dans une atmosphère vigilante. Cette impression d’être comprise, entourée, soutenue, d’être environnée de soins intelligents, est de celles auxquelles les femmes sont très sensibles. Cela leur donne un précieux réconfort de bien-être et de sécurité. Cela les aide à se sentir en communication avec qui les aime. C’est ainsi que se créent entre les amants, les époux, mille petits liens délicats, indissolubles, qui fortifient leur union, la protègent comme d’un filet aux mailles serrées.

C’est cette vigilance qui vous a manqué avec moi, mon cher Jérôme, cette clairvoyance attentive et observatrice. Cela vous a manqué et j’en ai souffert, sans vous le dire. Toutes les femmes à ma place en eussent souffert également, et ne voyez pas là une exigence particulière à ma nature. C’est ainsi pourtant que nos deux existences, malgré toutes les apparences d’une union heureuse, se sont isolées réciproquement, se sont dissociées peu à peu. Sans nous en rendre compte exactement, nous en sommes venus assez vite à nous désintéresser l’un de l’autre, j’entends au point de vue sentimental et passionnel. Nous restions liés par des liens apparents, mais sans solidité réelle. Ces liens ont dû céder à notre effort vital. Au fond, nous désirions autant l’un que l’autre retrouver notre liberté. J’ai eu l’air de vous