Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/164

Cette page a été validée par deux contributeurs.

rassurer avec sincérité. Elle parut tout d’abord fort contente de ma déclaration, puis peu à peu elle se rembrunit. Pour la première fois, depuis le commencement de notre conversation, elle examinait avec soin ma figure. Elle me considérait même avec une insistance presque gênante. Que découvrait-elle, tout à coup, sur mon visage ? Portais-je donc au front le signe des réprouvées ? À la grimace de la bonne dame, je pouvais croire à tout le moins que j’avais terriblement enlaidi depuis le temps où les papas d’élèves me lorgnaient au parloir. Mais non, ce n’était pas cela ; au contraire, ma pauvre tante regrettait du fond de son cœur que le Seigneur m’eût conservé quelques dons assez agréables. Qu’avais-je à faire maintenant de ces vains attraits qui, d’ailleurs, ne m’avaient pas été d’une grande utilité, puisqu’ils n’avaient pas réussi à faire que mon mari passât par-dessus mes imperfections morales et consentît à tous mes caprices, afin de se conserver l’usage exclusif de ma beauté ? À présent, surtout, à quoi allait bien pouvoir servir que j’eusse de beaux yeux, une bouche fraîche, une chevelure abondante ? Ces avantages devenaient pour moi autant de dangers. Tout cela se lisait dans les regards méfiants de la mère Véronique. Je vous jure qu’elle eût été ravie que je fusse borgne, boiteuse ou chauve. Elle m’eût certes préférée cul-de-jatte à me voir comme je suis, car n’était-il point extrêmement probable que mes faibles appas me vaudraient les compliments intéressés des hommes et leurs propositions déshonnêtes ? Et rien ne prouvait que je ne me laissasse pas prendre à leurs pièges. Le cœur des femmes est sensible à ces éloges masculins et la vanité qu’elles en tirent d’elles-mêmes leur peut conseiller bien des sottises. La tante Véronique, en son for intérieur, me faisait l’honneur de me croire capable des plus marquées.