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une jeune et jolie femme, dans la rue, à Paris, il y a à cela un agrément particulier que l’on ne rencontre nulle part ailleurs. Se promener par un beau jour froid d’hiver, le long des magasins élégants de la rue de la Paix et des Boulevards, à l’heure où le gaz s’allume, où l’électricité brille aux devantures, au milieu d’une foule sympathique, est une impression délicieuse qu’il faut avoir éprouvée. Certes, en Amérique, il y a bien des rues et des avenues, des boutiques et des magasins ; il y a des passants, mais il n’y a pas de flâneurs !

Oh ! la flânerie, mon cher Jérôme, quelle merveilleuse invention ! Je viens de passer un grand mois à ne guère faire autre chose que flâner. Eh bien ! je ne me suis jamais autant amusée. Oui, chaque matin, pendant un mois, je me suis habillée pour Paris. C’était pour Paris que je me poudrais le nez, que je me faisais les ongles, que je me parfumais. Chaque matin, pour lui, je mettais mes plus beaux souliers, ma robe la mieux seyante, mon chapeau le plus coquet. De quel pas alerte je descendais l’escalier ! C’était vers Paris que je courais. Brusquement, je me trouvais face à face avec lui. Son odeur m’emplissait les narines, son bruit m’emplissait les oreilles, son aspect me sautait aux yeux et, joyeuse, rapide, enivrée, je partais en reconnaissance à travers la vaste ville.

Vous pensez bien qu’à ces promenades quotidiennes je n’ai mis nul ordre et nulle méthode. Je n’ai pas visité Paris à la manière de nos Américaines. Elles le divisent en tranches, ainsi qu’un gâteau, et avalent gloutonnement chacune de ces tranches. Elles absorbent ainsi, chaque jour, un certain nombre d’églises, de musées, de monuments et autres curiosités. Vous ne me voyez pas, je suppose, me comportant de cette façon. Non, ce que je voulais, c’était me familiariser avec les lieux où