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plus fameux, parmi lesquels je comprenais, naturellement, les grands magasins. Que de promenades j’ai faites dans ce Paris lointain et pour moi presque chimérique, dont je ne connaissais guère que l’enclos du couvent de Sainte-Dorothée ! Y pouvoir errer librement, sans guide, sans contrainte, à ma guise et au gré de mon caprice, m’arrêtant où je voudrais, cela me paraissait une véritable perspective de Paradis !

Eh bien ! ce rêve, je le réalise depuis plus d’un mois, et cette réalité est un enchantement. Vous allez me trouver bien ridicule, Jérôme, mais vous, Paris, vous le connaissez ; il vous est familier ; vous y avez passé votre jeunesse ; vous y avez vécu, et, quand vous vous êtes fixé en Amérique pour vos affaires, d’abord provisoirement, ensuite d’une façon définitive, vous en avez emporté des images variées. Paris a satisfait vos curiosités. Mais, moi, pensez donc que Paris était resté pour moi un rêve de pensionnaire, un domaine inaccessible que je n’avais aperçu qu’à travers une grille. Quand nous nous sommes mariés, j’espérais que Paris s’éclairerait pour moi des rayons de notre lune de miel. Mais, au lieu de cela, vous m’avez jetée dans un paquebot et emportée là-bas comme objet conquis ! Et des années ont passé, et lorsque je songeais à Paris, je me disais : « Ô Paris, quand je te verrai, je serai sans doute une vieille dame. Il aurait été pourtant amusant de fouler tes trottoirs d’un pas encore alerte, de rôder dans tes rues avec une jeune allure de promeneuse, de refléter dans tes vitrines un joli visage, d’être encore à l’âge d’être regardée, suivie. »

Car, voyez-vous, mon cher Jérôme, en Amérique, ce sont toujours ces plaisirs de la rue qui nous manqueront, à nous Françaises, même Françaises honnêtes ; ce seront ces regards croisés, ces petits hommages d’admiration recueillis au passage, durant les flâneries. Être