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sans amitié que je considère l’adresse de ma lettre. La pensée que ce papier ira, par le paquebot et le railway, vous atteindre au pays lointain où vous êtes resté me cause même, chaque fois qu’elle me vient à l’esprit, une petite émotion à laquelle se mêle une certaine mélancolie. Je ne jette point ma missive à la boîte sans, avec elle, retraverser quelque peu l’Atlantique. Je l’accompagne à travers les campagnes américaines. Je la vois parcourir les vastes solitudes de votre continent, franchir les Montagnes Rocheuses et leurs plateaux de neige, passer la Sierra où croissent les grands pins, où fusent les geysers, et redescendre vers cette belle Californie, dont j’ai conservé un souvenir si lumineux et si fleuri. La voici maintenant, ma lettre, qui arrive à Berkeley. Elle s’embarque sur le ferry-boat. Au delà de la baie, elle est à San Francisco, puis elle en repart par la gare de Town’s End pour votre charmant Burlingame. C’est là qu’elle va vous rejoindre, mon cher Jérôme, et je crois un peu m’y retrouver avec elle.

J’ai beaucoup aimé notre cottage de Burlingame. Je vous assure qu’il reste dans ma mémoire comme un lieu charmant. Parmi toutes les maisons qui se cachent dans la verdure, il en est, certes, de plus luxueuses que la vôtre, mais je n’en connais pas de plus plaisante, de mieux aménagée et de plus aimablement confortable. Votre vieux goût français y corrige à merveille ce que les modes américaines ont de trop positif. Aussi votre demeure est-elle à la fois élégante et bien agencée. Et puis, à mon sens, elle est la mieux située de tout Burlingame. L’emplacement en a été admirablement choisi et fait grand honneur à votre discernement. De chez vous on a, en même temps, vue sur la Baie et sur le Pacifique. Les arbres qui entourent l’habitation sont magnifiques. J’aime aussi beaucoup la grande prairie à