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tin de temps à autre. Il était très gentil avec moi et j’avais même sur lui une certaine influence. Mme Bruvannes, qui n’ignorait pas qu’il en fût ainsi, me priait souvent d’intervenir auprès d’Antoine. Je le faisais de mon mieux, mais je me suis demandé si ce n’avait pas été une des raisons qui ont poussé Antoine à agir avec moi comme il l’a fait. M’en voulait-il de cette influence que j’exerçais sur lui comme d’une supériorité qu’il trouvait inadmissible de la part de quelqu’un sur qui il avait tant d’autres avantages ? Je me suis aperçu plus d’une fois qu’il lui était désagréable que j’eusse des sentiments, des goûts autres que les siens. Il était vexé que je n’adoptasse pas son genre d’existence. Lui, qui détestait la lecture, enrageait de me trouver un livre à la main. Les préoccupations qui lui étaient inaccessibles, chez un autre, l’agaçaient. Sa vanité en souffrait sans qu’il s’en rendît compte. Car, au fond, avec ses airs bon enfant, Antoine est vaniteux. Il était vain de sa fortune, de sa personne, vain de sa force et de sa vigueur. Qu’un pauvre diable comme moi, qui n’étais ni riche, ni herculéen, ni sportsman, ni homme à la mode, eût pu plaire par lui-même à une charmante et élégante jeune femme comme cette petite Étiennette Sirville, cela lui parut inadmissible. Il a trouvé sans doute que j’empiétais sur les prérogatives des grands viveurs de son espèce. N’est-ce pas à eux qu’appartiennent de droit les Louise d’Evry et les Étiennette Sirville ? Alors, il a voulu me donner une leçon. Il m’a enlevé Étiennette