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l’abbaye d’évolayne

— Vous admettez bien une récompense éternelle pour ceux qui pratiquent une vertu temporaire ?

— Cela n’est pas en effet absolument juste, constata-t-elle loyalement, mais l’équité de Dieu peut aboutir à un excès de miséricorde, non à un excès de sévérité. Mon père, vous n’allez pas me dire que vous croyez à l’enfer.

— Si fait, dit-il souriant de sa surprise, aussi fermement qu’à ma propre vie.

Elle s’enflamma aussitôt :

— Et vous restez en paix, s’écria-t-elle, sachant que tant de pauvres êtres : vos semblables, vos amis, vos parents peuvent tomber dans cette géhenne ? Vous imaginez un ciel fermé, implacable, où les élus ne seront pas troublés par l’affreux gémissement de l’abîme, par le supplice sans fin de leurs frères. Quel cœur avez-vous ? Quelle solidarité humaine ? Pour moi, je prendrai toujours le parti des maudits. Si je croyais à l’enfer, je voudrais me damner.

— Regrettable ! murmura le moine entre ses dents. Cependant vous devez y croire.

— Toute ma conscience proteste et je refuse.

— Très bien, en ce cas vous n’êtes pas chrétienne.

— Je le suis certainement plus que vous, riposta-t-elle, remettant délibérément à son rang d’homme, ce prêtre représentant de Dieu.

Le père Athanase, habitué à dominer des âmes souples, s’étonna d’une telle indépendance. Large et tolérant pour les petites choses, il devenait inflexible dès que le dogme de l’Église entrait en jeu. Tous deux s’affrontèrent, lui très calme, mais inébranlable, elle tout en feu :