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l’abbaye d’évolayne

celle de l’esprit. Aussi quand il la recevait au parloir lui parlait-il en théologien plus qu’en apôtre, dans un langage plus abstrait qu’émouvant. Il s’appliquait à lui démontrer les grandes vérités qu’elle devait accepter désormais. Un matin où il l’entretenait de l’unité de l’Église qui, à ses yeux, prouvait mieux que tout autre argument l’excellence et la divinité de la doctrine catholique, elle objecta :

— Mon père, je veux bien croire à cette unité. Pourtant quelle différence entre la religion si large qui est la vôtre et celle de Michel et les enseignements que nous recevions au couvent. Là, on nous empoisonnait avec les superstitions d’un autre âge, telles que l’enfer, la damnation éternelle…

Le moine l’arrêta d’un geste, accompagné du regard direct qui la gênait toujours.

— Vous dites : superstitions d’un autre âge ?

— Évidemment, répondit-elle déconcertée.

La figure du religieux exprima une sévérité quelque peu narquoise.

— Vous vous figurez, sans doute, que l’Église a peu à peu évolué jusqu’à ne garder qu’un ciel complaisamment ouvert à tous et que, de l’enfer, il n’est plus question ?

— Je pense, reprit-elle, pleine de certitude, qu’on en parle encore afin d’effrayer les pauvres âmes pour qui l’amour ne serait pas un motif suffisant de bien agir. Mais je crois qu’aucun esprit sérieux, vraiment pitoyable, n’accepte aujourd’hui l’idée de la damnation. Qu’il y ait, au delà du monde, un châtiment pour les coupables et les criminels, cela semble nécessaire, mais comment admettre un châtiment éternel pour ceux qui péchèrent dans le temps.