Page:Régnier - L'abbaye d'Évolayne, 1951.djvu/51

Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
l’abbaye d’évolayne

Les deux monastères étaient très différents. Le premier, accessible à tous, imposant, déployé, régnait sur un immense paysage, l’autre, secret, ignoré des touristes, entouré de murs épais, masqué par un repli de la colline, gardait ce caractère d’effacement qui convient aux femmes. Les offices y étaient moins solennels et plus intimes. Les religieuses, invisibles derrière des grilles, y participaient par un chant lointain, ténu et pur. Leurs voix, moins impersonnelles, moins disciplinées que celles des moines, avaient des inflexions où se trahissait l’âme. Adélaïde croyait parfois y surprendre un aveu d’extase ou de détresse, un appel, un reproche. Elle cherchait à imaginer la vie de ces recluses, aux pieds d’un Dieu caché qui jamais ne leur répondait. Du moins ce Dieu les voyait-il toujours, recueillant leurs plus secrètes pensées, alors que, tandis qu’elle errait dans les bois, tous les élans fervents de son cœur vers Michel n’allaient pas jusqu’à lui. Il ne saurait jamais, même si elle essayait de le lui dire, combien, sous l’influence d’un paysage, d’un soir calme, elle l’avait parfaitement aimé.

Le sixième jour, elle monta sur la route à sa rencontre. Le désir de sa présence la rendait faible ainsi qu’un être qui a faim. Dès qu’elle le vit venir elle s’arrêta pour l’attendre. Il marchait vite et ne parut la reconnaître qu’au moment où il fut tout près d’elle. Il eut alors un mouvement de surprise comme si, depuis une semaine, pas une fois il n’avait pensé à elle. Elle eut l’impression très nette d’un sursaut en lui de défense au moment où il l’embrassait. Comme après une très longue absence, elle ne le retrouvait pas exactement tel