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d’autres supériorités et qu’en cet homme il y avait une âme forte et fervente, tendue vers des buts plus nobles que celui d’acquérir une position brillante. Elle n’aimait point ceux qui vivent avec indifférence, au hasard. Dans ce milieu de jeunes médecins, Michel Adrian, seul, semblait se croire une mission, et prendre vraiment au sérieux des devoirs que les autres remplissaient consciencieusement, sans y attacher la moindre importance. Cependant elle ne le comprenait pas tout à fait. Il observait plus qu’il ne se livrait, parlait peu, la déconcertait par son humeur changeante. Très assidu au foyer de son frère depuis qu’elle s’y trouvait, il disparaissait parfois sans raison durant des semaines. Un jour où elle lui reprochait amicalement une de ces absences, il s’expliqua avec simplicité :

— Je cache les drames de ma vie, dit-il. Toutes les fois que je me trouve en présence d’un cas désespéré, et qu’il me faut assister à l’agonie d’un malade pour lequel je ne puis rien, c’est un drame pour moi. Partout je pense à cet être qui souffre et meurt, rien ne peut m’en distraire. En de tels moments, je ne puis voir personne. À quoi bon attrister les autres !

Elle eut un grand élan de sympathie vers lui ;

— Je comprends si bien ! s’écria-t-elle. À votre place, j’éprouverais la même chose… J’ai toujours été étonnée d’entendre mon frère et ses amis affirmer qu’ils oubliaient leurs malades dès qu’ils les avaient quittés.

— Oui, murmura Michel, ils ont presque tous reçu cette grâce d’état, mais non point moi. Je crois, à vrai dire, que peu de gens voient la dou-