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II

Michel ne se lassa pas d’Évolayne comme des autres pays. Il ne parlait plus de départ. La clôture de l’abbaye, fermée aux femmes, s’ouvrait en partie pour les hommes. La bibliothèque, riche et bien montée, devint sa retraite favorite. Il y passait des heures, s’entretenait souvent avec le père Athanase. Adélaïde voyait peu son mari, mais ne s’en plaignait pas. Elle n’était point de ces amoureuses importunes qui ne laissent à ceux qu’elles ont choisi pour maître et pour esclave pas plus de liberté qu’elles n’en réclament. Sa forte personnalité lui permettait de conserver, sous les chaînes même de la passion, un goût d’indépendance et d’évasion. La présence de Michel ne lui était pas indispensable. Elle aimait à s’écarter parfois de lui, sachant bien qu’on détruit un être auquel on s’habitue et qu’il vous apparaît diminué dans les rapprochements de la vie quotidienne. En s’éloignant du bien-aimé, elle le comprenait mieux, lui restituait, par le rêve, sa grandeur véritable.

Au reste, elle avait besoin de se retrouver parfois seule pour rouvrir le livre de sa vie, pour le relire page après page, s’efforçant de pénétrer le sens de chaque événement et, par le passé, d’expli-